L’ELIXIR D’AMOUR

d’après Frank Wedekind

« Lorsque, chez Wedekind, le contraste naît entre deux choses dont l’une est douloureuse, on obtient du tragi-comique. Si aucune n’est douloureuse, on obtient le gros comique de L’Elixir d’amour. » 
Alfred Kerr, Die Welt im Drama, 1907

L’Elixir d’amour

Photo : Mirella Malaguti

Aux environs de Saint-Pétersbourg, un prince faussement riche époux d’une fausse princesse, que courtise un faux valet, ordonne à un faux précepteur de préparer un faux élixir, pour tromper le cœur faussement intrépide d’une comtesse qui le méprise vraiment. C’est la démesure de trop : sans le vouloir, le prince Rogojine va déchirer le voile que tous avaient pudiquement jeté sur la nullité de leur existence.

Par cette « bouffonnerie en trois actes », Wedekind exprime toute son admiration pour le cirque – parmi les personnages, on trouve une ancienne trapéziste de chez Barnum, une écuyère en herbe et un acrobate dresseur de chevaux, de tigres du Bengale et de cochons -, dont il tire une curieuse éthique de l’élasticité :

« C’est ce qui s’apprend au cirque, vois-tu. Un saut énergique et, quand le pied touche terre, une gracieuse révérence pour ne pas tomber sur le nez. Chacun de nous est une fois tombé dans les ténèbres et dans la nuit, mais à qui manque l’élasticité il ne restera que d’être piétiné dans l’herbe par la meute hurlante, glapissante, impitoyable. » (Schwigerling, Acte I, scène 13)

Dans une société marquée par l’assignation ontologique et sociale des individus, la résurgence de crispations réactionnaires et le plébiscite politique de la résignation pour seule consolation, l’élasticité se présente comme un recours au déterminisme. « Il n’y a qu’un seul moyen d’avoir trouvé sa place, c’est d’être arrivé au point d’où l’on ne peut plus bouger », écrivait Paul Claudel.

À cet immobilisme, nous proposons un remède : L’Elixir d’amour .

Mise en scène

Wedekind a écrit L’Elixir d’Amour à Paris en 1892.

Saint-Pétersbourg est alors la capitale de l’Empire Russe ; dix ans plus tôt, le tsar Alexandre II a été assassiné par un groupe de socialistes révolutionnaires, la Narodnaïa Volia (« Volonté du Peuple »). Depuis, le nouveau tsar Alexandre III mène une politique anti-réformiste et s’attache à renforcer le pouvoir en restreignant les libertés et en réprimant férocement les oppositions. Un climat sulfureux, qui préfigure la Révolution de 1917, s’installe.

Comme dans une série de miroirs, ce climat se reflète dans le spectacle par une suite de métonymies imbriquées : la scénographie est à l’image de Rogojine, Rogojine à l’image de la capitale, et la capitale de la situation politique russe. La scénographie, masquant sous la pompe de tissus chatoyants la froideur des matériaux de construction, est la miniature de ces forces en tension, dont les échos nous parviennent, aujourd’hui, avec une stupéfiante acuité.

Le jeu de dupes se poursuit dans la dramaturgie des costumes et dans le dessin des autres personnages, dont la dualité prête à eux aussi les traits de Saint-Pétersbourg, cité nouvelle, « émerveillement et prodige du pays des nuits blanches issue des forêts obscures, des profondeurs du marécage » (Pouchkine, Le Cavalier de bronze).

Il se retrouve, enfin, dans la dialectique du désir ; dans la façon dont le désir obsède et obstine le prince, jusqu’à la folie, devant l’inéluctable effondrement de son pouvoir. 

Spectacle de cet effondrement plus dérisoire que tragique, L’Elixir d’amour tourne en dérision le désir des puissants, impuissants à contenir dans les limites de leur fantasme les débordements de la réalité.

Photo : Mirella Malagutii

Distribution

Mise en scène

Caty Reneaux & Pacôme Puech